credits: Brittany Randell |
Muetse était contente d'être là, avec eux. Elle les écoutait vaguement discuter tout en balançant doucement ses pieds dans l'eau fraîche de la piscine. Elle repensait à l'épisode nuage de cet après-midi.
De manière assez aléatoire, quand elle était seule dans son appartement, elle entendait des voix et elle voyait des couleurs flotter dans l'air autour d'elle, sous la forme de nuages vaporeux et irisés. Les voix étaient celles de jeunes femmes rieuses et espiègles. Sans pouvoir se l'expliquer, Muetse les ressentaient bienveillantes et protectrices. Comme des soeurs. La première fois, Muetse avait cru devenir folle. Elle n'en avait parlé à personne bien évidemment.
Puis, elle s'était habituée à Ses voix, à Ses soeurs qui lui parlaient toujours d'une certaine Ada que Muetse devait absolument libérer. A chaque fois qu'elle leur demandait qui était cette Ada, la réponse demeurait "tu le sauras bientôt" et tout disparaissait, le nuage de couleurs et les voix. Il ne lui restait que cette sensation aigre-douce que l'on ressent quand, au réveil, on essaie de se souvenir des détails d'un rêve.
Pourtant cet après-midi-là, quelque chose d'inhabituel se produisit dans le scénario: après dissipation du nuage, il y avait comme une fine brume sur ses doigts et sur sa poitrine. Muetse n'y prêta que peu d'attention. Elle était déjà en retard. Elle enfila une tunique et un pantalon amples en lin au-dessus de son maillot de bain, et sortit pour aller à l'apéro-piscine organisée par ses amis.
Muetse s'amusait du petit clapotis de l'eau après chaque mouvement de pieds. Pendant les rassemblements, elle ne participait que très rarement aux discussions. Elle préférait écouter, observer et manger pendant que les passions se déchaînaient sur un sujet ou un autre.
En parlant de manger, elle était, à ce moment-là, occupée par les beignets de banane cuisinés par Makosso.
Makosso était son ami d'enfance, aujourd'hui marié à "Celle qui ne le mérite pas". C'est ainsi que Muetse surnommait l'épouse de Makosso. Une femme qui ne savait faire qu'une seule chose: tyranniser son mari par chantage affectif du soir au matin et du matin au soir. Makosso ne s'en plaignait jamais. Il n'avait jamais un mot plus haut que l'autre envers elle. Mais il souffrait. Il souffrait derrière son air toujours jovial. Il souffrait derrière son apparence d'homme heureux en mariage. Muetse était la seule à le savoir parce qu'elle avait ce don arrivé en même temps que les épisodes de nuage: le pouvoir de lire dans les coeurs.
Ce don, Muetse le considérait comme une malédiction parce que le cœur est l'organe le plus malade du corps humain. Dès le premier cri à la naissance, la cellule noire jusque-là endormie, se réveille et commence à distiller son poison sur toutes les cellules voisines. Ainsi naissent la peur, le manque, la colère, l'incompréhension et tous ces sentiments qui font de L'Homme cet être complexe capable du meilleur et surtout du pire. Muetse lisait dans les coeurs comme dans des livres ouverts devant ses yeux. Muetse lisait Makosso et elle souffrait avec lui.
Makosso était son amour d'enfance. Un amour que lui avaient volé la tradition et le devoir. Il était l'aîné et il se devait de reprendre la gestion des affaires familiales. L'aîné est très souvent le pantin de la pièce de théâtre qui se retrouve à porter le poids des décisions des parents. Il avait donc dû épouser "Celle qui ne le mérite pas" afin d'honorer la parole de son père. Son refus aurait fait dégringoler la réputation de sa famille dans une société où la parole donnée vaut de l'or. Ne dit-on pas que "qui n'est pas homme de parole, n'est pas un homme" ? Par tradition et devoir, Makosso avait donc épousé "Celle qui ne le mérite pas" lors d'une très belle cérémonie vide d'amour où Muetse avait enchaîné les coupes de champagne pour faire passer la colère et le ressentiment.
Muetse mangeait les beignets de banane de Makosso dans son coin de piscine, perdue dans ses rêveries, quand la discussion bifurqua sur le sujet des tatouages.
- Et toi Muetse ? Tu as combien de tatouages ? demanda Essongue
- Euh ça ne vous regarde pas, il me semble.
- Allez ! dit Olana, tu essaies de recouvrir tout ton corps ?
Muetse se demanda de quoi ils parlaient. Elle n'avait qu'un tatouage, qu'elle avait choisit de faire sur l'avant-bras afin qu'il ne la desserve pas trop dans son poste de responsable de département finances. Les tatouages étaient mal vus, notamment sur les femmes. Avec un tatouage, on était tout de suite assimilée à une personne aux mœurs légères. Dans sa vie privée, elle s'en fichait de ce que son entourage disait d'elle, mais pas au bureau. Muetse s'évertuait à être irréprochable sur son apparence comme dans son travail afin de gravir les échelons. Elle dissimulait donc son tatouage sous des blouses fluides à longues manches et des vestes, et jusqu'ici aucun de ses collègues n'en avait fait mention.
- Je n'en ai qu'un seul, sur l'avant-bras, répondit Muetse en levant les yeux au ciel d'un air exaspéré.
- Euh ma chérie, tu dois avoir un problème parce que tu en as beaucoup plus là, ricana "Celle qui ne le mérite pas". Regarde tes doigts! Et puis qui est cette "Ada" tatouée sur ta poitrine ? Tu es passée du côté des femmes, fatiguée de courir derrière les maris d'autrui ?
- Quoi ?! s'écria Muetse
Muetse ne savait pas de quoi il était question ici mais elle lisait l'interrogation dans les yeux de toute l'assistance. Soudain, c'est comme si ses yeux s'ouvraient. Elle regarda ses mains et vit pour la première fois ce que les autres avaient remarqué dès son arrivée: des dessins délicats noirs en formes de chevrons, de lignes parallèles et de points sur ses phalanges. Aussitôt, elle baissa les yeux vers sa poitrine et vit le mot "Ada" tatoué en lettres manuscrites au-dessus de son sein gauche.
Prise de panique, Muetse se frotta les doigts et la poitrine dans l'espoir que les dessins disparaîtraient mais rien n'y fit. Elle se souvint de la brume après son épisode de nuage. Mais qu'est-ce qui était en train de se passer ??
Imaginez la suite en commentaires...
Besos.
L.
Wahou!!! C'était génial, écriture fluide et agréable, récit captivant!
RépondreSupprimerCe "Imaginez la suite dans les commentaires..." m'a tué! On aura donc pas de suite... ?